21 juin 1950
"
Leandre ?"
Ses longs cheveux blonds et bouclés volaient tout autour de sa tête alors qu'elle courrait vers moi. J'esquissais un léger sourire alors que je me levais en époussetant mon pantalon pour enlever la terre qui aurait pu s'y coller. Précaution inutile... Valentine se jeta à mon cou nous envoyant valser au sol dans un grand éclat de rire. Nous restâmes un moment allongés au sol à observer les nuages.
"
Regarde celui là ! On dirait un petit lapin !"
Je tournais la tête vers elle pour l'observer avec un petit sourire. Elle était jolie Valentine et j'étais heureux d'être son voisin. J'étais heureux d'être son ami. Je tournais à nouveau la tête vers les nuages avec un petit sourire avant de lui en montrer un autre.
"
Et celui là, on dirait un soldat qui va tirer sur le petit lapin..."
Un coup de coude bien senti dans mes côtes me tira une grimace de douleur alors que je partais dans un éclat de rire devant son air outré.
"
Tu es méchant Leandre !"
Sa moue boudeuse me tira un petit sourire amusé alors que je me redressais pour lui lancer un regard d'excuse, ses yeux verts brillants me fixaient et je me sentis rougir légèrement. Je sortis de ma poche un petit paquet sommairement emballé et le lui tendis avec un petit sourire.
"
Joyeux anniversaire Valentine."
Elle se redressa à son tour pour saisir le petit paquet avec un air de surprise. Elle ne semblait pas s'attendre à un cadeau de ma part sans doute. Un immense sourire de joie pure se dessina sur son visage alors qu'elle tendait un petit cheval de bois sculpté devant elle.
"
Oh Leandre ! Il est magnifique ! C'est toi qui l'a fait ?"
Je vis l'émotion briller dans ses yeux alors que je hochais la tête pour confirmer et qu'elle se jetait à mon cou en posant délicatement ses lèvres sur ma joue. Je lui adressais un sourire ravi, j'avais passé presque un mois à sculpter ce petit cheval sous les conseils avisés de mon père. Il était ébéniste de métier et il n'était plus à son premier sujet modelé alors il me transmettait sa passion pour qu'un jour, je reprenne son atelier. Ce que je ferais cela ne faisait quasiment aucun doute.
"
Merci mille fois !"
La joie de Valentine me confortait d'ailleurs dans mon idée, je voulais encore voir mille fois son visage s'illuminer de la sorte. Ce serait ma préoccupation principale, je voyais bien son regard fasciné quand elle passait devant l'atelier avec son père et qu'elle regardait mon père travailler. Je voulais qu'elle me regarde de la même façon. J'esquissais un petit sourire fier et heureux d'avoir réussi. Je tendis ma main vers elle pour l'aider à se relever.
"
Je suis heureux que ton cadeau te plaise."
Elle posa sa main délicate dans la mienne et se releva en souriant. Je conservais sa main dans la mienne alors que nous redescendions la colline pour rejoindre nos maisons respectives. J'avais à peine sept ans mais je savais déjà précisément ce que je voulais. J'étais amoureux de Valentine et un jour je l'épouserais. Même si son père était médecin et que je n'étais pas assez digne. Je m'étais promis qu'un jour Valentine serait ma femme !
8 août 1962
"
Tu es prêt ?"
J'ajustais une dernière fois ma cravate avant de me fixer dans le miroir une dernière fois. Je hochais la tête avec un petit sourire en me tournant vers mon témoin.
"
Je crois oui..."
Il m'observa avec un sourire moqueur et envoya une grande claque amicale dans mon épaule.
"
Regardez le ! Le grand Leandre qui a le trac, c'est adorable."
Il me lança un sourire narquois alors que je haussais les yeux au ciel.
"
C'est pas drôle ! Et si elle me dit non ? Et si son père fait un scandale pendant la cérémonie ? Et si, elle décide que c'est trop tôt ?"
Il me lança un regard blasé avant de soupirer en secouant la tête.
"
T'es idiot quand tu t'y mets... tu le sais ça ? Ton beau-père dira rien, il s'est fait une raison. Valentine t'aime, c'est une évidence rien qu'à la façon dont elle te regarde. Et ce n'est pas trop tôt ! C'est parfait. Dix-neuf ans, c'est l'âge idéal pour se marier, ironisa-t-il.
Non mais plus sérieusement, vous vous aimez depuis plus de dix ans... ce serait bête d'attendre encore."
Je hochais la tête légèrement rassuré. Je savais que je prenais la bonne décision, j'aimais Valentine depuis tellement d'année. La promesse que je m'étais faite me revint en mémoire et un sourire amusé se dessina sur mes lèvres. On y était, j'avais tenu ma promesse. Je me rappelais encore de la première fois où je lui avais avoué mes sentiments. C'était sur cette colline, toujours la même. Là aussi que je lui avais fait ma demande en mariage.
La suite avait été un peu plus compliqué, le père de Valentine ne voyait pas cette union d'un bon œil. Pourtant, je venais de reprendre l'atelier de mon père, j'étais un bon artisan. Le bois me parlait et je savais l'écouter. J'aimais le travailler et j'aimais voir Valentine me regarder travailler. Je pourrais subvenir à nos besoins. J'avais déjà repéré une petite maison à l'extérieur de la ville. J'avais économisé et il fallait juste passer à la banque pour faire un prêt. Tout était casé dans ma tête.
Je savais ce que je voulais et je savais ce que j'avais à faire. Pourtant alors que j'attendais auprès de l'autel son arrivée, tout se bousculait dans ma tête. Jusqu'à ce que son regard croise le mien. Jusqu'à ce que je la vois dans sa robe de mariée. Jusqu'à ce qu'elle soit près de moi, souriante et plus belle que jamais. Plus aucun doute ne fus permis. Je savais que j'avais raison. Rien que parce qu'elle était là près de moi.
Un sourire s'étira sur mes lèvres alors que je prenais sa main dans la mienne, alors que mon regard ne la quittait pas. Je l'aimais tellement, elle était toute ma vie, passée, présente et future. J'entendais à peine le prêtre parler, toute mon attention sur elle jusqu'à ce que je perçoive vaguement cette question. Celle que j'appréhendais comme j'attendais avec impatience.
"
Je le veux."
Je vis son sourire et ses yeux briller d'émotions alors que je répondais par l'affirmative à cette question qui allait changer nos deux vies. Je la vis hocher la tête alors que la question lui était posée également. Mon sourire s'agrandit légèrement alors que son regard émeraude se plongeait dans le mien.
"
Oui, je le veux."
J'étais l'homme le plus heureux du monde à cet instant. Le reste de la cérémonie passa comme un rêve. L'échange des alliances et des vœux. Le baiser qui scellait notre union. Je sentis une de ses larmes de bonheur mouiller ma joue. Elle s'empressa de l'essuyer en riant alors que nos regards ne se lâchaient pas. Elle était mienne et j'étais sien. Il n'y avait rien de plus important à cet instant si ce n'était le bonheur que nous ressentions. Je me sentais invincible. Prêt à surmonter toutes les épreuves à ses côtés.
31 octobre 1963
Un plaid sur les genoux, caressant son ventre rebondi de temps à autre, Valentine regardait un film d'horreur tout en mangeant les fraises que je venais de lui ramener avec peine. Je la fixais d'un oeil attendrit alors que je passais une main sur son ventre avec un petit sourire tendre.
"
Tu crois qu'il nous entend si on lui parle ?"
Elle me glissa un petit regard amusé alors qu'elle hochait la tête.
"
Oui, elle t'entend parfaitement."
Je haussais un sourcil surpris à sa remarque.
"
Elle ? Comment peux-tu être sûre que c'est une elle ?"
"
Et toi comment sais-tu que c'est un il ?"
Elle me fixe avec son petit sourire moqueur avant de croquer dans une fraise. Je fronce les sourcils songeur.
"
Je ne sais pas... On dit le bébé alors... instinctivement je dis il..."
Elle esquisse un petit sourire amusé avant de hocher la tête lorsque soudain une grimace de douleur traverse son visage. Elle attrape précipitamment ma main et la pose sur son ventre.
"
Leandre ! Il a bougé ! Tu sens ?"
Je la fixe un moment perplexe avant de sentir comme une pression contre la paume de ma main. Un sourire fleurit ses mes lèvres alors que mon regard se lève vers Valentine et que je la fixe émerveillé. Elle me regarde avec un sourire ravi alors qu'elle glisse sa main dans mes cheveux en une tendre caresse. Mon regard brille d'amour et de fierté alors que le sien est aussi brillant que les étoiles. Je me penche à nouveau sur son ventre et l'embrasse tendrement tout en le caressant doucement.
"
Peu importe ce que tu es... Papa t'aime déjà."
Mon bonheur est à son apogée, je ne pensais pas pouvoir être encore plus heureux que le jour de mon mariage mais vivre avec Valentine était un bonheur permanent. Cet enfant à naître me comblait déjà alors qu'il n'était encore qu'un tout petit être en développement dans une poche. Je redressais la tête vers mon épouse et capturais ses lèvres avec passion. Elle était tellement belle, tellement merveilleuse. Je me reculais à contrecœur pour la laisser reprendre son souffle alors qu'elle riait doucement. Je ne me lasserais jamais de la regarder.
Je fus tiré de ma rêverie par un bruyant claquement. Je me levais brusquement en fronçant les sourcils, attrapant le fusil posé dans le cagibis sous l'escalier. Le bruit venait de l'arrière cuisine, je me dirigeais prudemment dans cette direction lorsque je vis la porte entrouverte. Je m'approchais un peu plus pour regarder dehors avant de froncer les sourcils. Il n'y avait personne... Je poussais un soupir avant de fermer la porte.
"
Il va vraiment falloir que je répare cette porte... même un petit coup de vent arrive à l'ouvrir maintenant..."
Je levais la voix pour que Valentine m'entende avant de commencer à revenir sur mes pas pour aller la rejoindre lorsqu'elle poussa un cri qui me glaça le sang. Je serrais mon fusil plus fort dans ma main avant de courir vers le salon.
"
VALENTINE !"
Mon hurlement avait traversé la pièce alors que je la trouvais inconsciente au sol dans une mare de sang, un loup énorme à ses côtés. Sans réfléchir plus, je pointais le canon de mon fusil sur la bête alors qu'il commençait à s'approcher de moi. Je tirais un premier coup de feu pour tenter de l'éloigner mais cela ne sembla pas l'effrayer puisqu'il bondit sur moi, me renversant en arrière et me faisant tomber au sol. Je sentis ses crocs s'enfoncer dans la chair tendre de mon cou me tirant un hurlement de douleur. C'était insoutenable, intolérable... La dernière chose que je vis ou que je crus entendre, ce fut des voix s'approchant de moi. Mais peut-être avais-je rêvé, ce devait n'être qu'une illusion alors que je sombrais dans les ténèbres.
2 novembre 1963
La douleur me transperçait jusque dans les muscles. Insupportable. C'est ce qui me tira de mon inconscience, je passais une main dans mon cou mais je ne sentis rien d'anormal. Aurai-je rêvé alors ? J'ouvrais les paupière brusquement en me redressant précipitamment. Valentine ! La pièce tourna violemment autour de moi, je m'étais relevé trop vite sans doute. Je fermais donc les paupières pour que la pièce arrête de tourner et que je puisse voir où je me trouvais. Je ne connaissais pas cette chambre. Je n'était clairement pas chez moi. Et plus étrange encore, c'était la présence de cet homme à mon chevet. Je ne le connaissais pas, ne l'avais jamais vu avant. Je fronçais les sourcils suspicieux.
"
Qui êtes vous ? Où suis-je ? Ma femme ? Où est-elle ? Comment va-t-elle ?"
Mon flot de question ne sembla pas impressionner mon hôte puisqu'il prit la parole d'une voix grave.
"
Je suis Lysandre, alpha de la meute de Salem. Tu te trouves actuellement dans un endroit tenu secret. Je ne peux pas te dire précisément où tu te trouves tant que tu n'as pas formellement intégré la meute. Pour ta femme... elle n'a pas survécu à la transformation, je suis désolé. L'enfant qu'elle portait n'a pas survécu non plus."
Il baissa la tête comme s'il était profondément peiné avant de poser une main sur mon avant bras.
"
Le loup qui vous a attaqué était un cabot, il ne fait pas parti de la meute. Il s'est enfui dès qu'il nous a senti arriver. Je suis sincèrement désolé pour ta perte..."
Je ne comprenais rien... de quoi parlait-il ? Une meute ? Mais une meute de quoi ? La seule information que cerveau acceptait d'intégrer et qui tournait en boucle dans ma tête était la dernière. Désolé pour ma perte. Pas survécu. Mes poings se serrèrent sur le lit alors que la douleur me terrassait de l'intérieur. Je croyais avoir eu mal quand ce monstre m'avait déchiqueté le cou mais ce n'était qu'illusion à côté de cette douleur qui me tordait les entrailles de l'intérieur. Un hurlement s'échappa du plus profond de mon être, un cri inhumain, de la détresse pure. Je n'aurais jamais cru être capable de pousser un tel cri, je n'aurais jamais cru capable de souffrir autant. Instinctivement, je me recroquevillais sur moi-même laissant mon désespoir s'échapper par un torrent de larmes, je me laissais tomber sur le côté.
Plus rien ne comptait, plus rien n'existait. Peut-être que des gémissements d'horreur se sont échappés de ma gorge. Peut-être que Lysandre a quitté la pièce lassé de mes lamentations ou par pudeur. Peut-être que j'ai fini par m'endormir terrassé par la douleur insoutenable. Peut-être que jamais je n'arriverais à m'en relever. Tout semblait sans importance désormais. Plus rien n'avait de sens. Jamais. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi moi ? Pourquoi mon enfant que je ne connaîtrais jamais ? Pourquoi tant de cruauté ? Tout ça n'avait aucun sens. Je restais de longues heures dans cette position prostrée avant de me redresser. Je devais la voir. Je savoir où elle avait été enterrée. Je partais à la recherche de Lysandre et m'arrêtais lorsque je l'eus trouvé. Le visage défiguré par ma perte.
"
Où est-elle ? Sa tombe ?"
Parler me demanda un effort surhumain mais je réussis néanmoins à les prononcer. Lysandre me fixa avec ce qui semblait être un mélange de compassion et de pitié mais finit par se lever pour me conduire dans un endroit isolé loin de la maison dans les bois. Il me désigna une simple croix de bois. La terre avait fraîchement été retournée, je pouvais sentir l'odeur de la terre emplir mes narines. J'avais l'impression que les odeurs étaient décuplées, c'était étrange. Mais je ne m'attardais pas là-dessus. Je posais la main sur la croix sommaire et me laissais tomber à genoux devant. Posant mon front tout contre alors que de nouveaux sanglots venaient secouer mon corps meurtri. J'avais la nausée, rien que de l'imaginer vivant ses derniers instants seule. Je m'en voulais. J'aurais dû mieux la protéger...
Je n'étais qu'un incapable. Je ne sais pas combien de temps, je suis resté là à la pleurer. Je sentis simplement la main de Lysandre se poser sur mon épaule. J'entendis alors sa voix à l'intérieur de ma tête. Je le fixais ahuri, le regard encore rempli de larmes. Comment ? Je me relevais brusquement et me reculais d'un pas. Sorcellerie ? Qu'était-ce donc ? Il sembla percevoir ma panique puisqu'il s'empressa de lever une main apaisante dans ma direction.
"
Ne crains rien... Tu es en sécurité désormais..."
Je le fixais suspicieux, ne croyant pas un mot de ce qu'il racontait. Il n'avait pas su garder Valentine en vie. Et puis, un détail me revint.
"
Que lui est-il arrivé exactement ? Et à moi ? Vous avez parlé de transformation..."
Ma voix était rauque, douloureuse. Il poussa un soupir et me fit signe de le suivre. C'est donc en silence que nous rentrâmes, je n'avais pas la force de le harceler de questions et j'avais l'intuition qu'il allait me répondre. Mon cœur saignait à l'intérieur de ma poitrine. J'aurais aimé disparaître, retrouver Valentine et mon enfant. Mais j'avais besoin de réponses avant...
Je m'installais dans fauteuil confortable une fois rentré, il m'avait conduit dans une pièce qui ressemblait à un bureau. Il sortit deux verres et les remplit d'un breuvage ambré que je reconnus comme du whisky. Il poussa l'un des deux verre vers moi mais je n'y touchais pas. Mon regard obstinément tourné sur lui. Il poussa un petit soupir avant de hocher la tête.
"
Nous sommes ce que nous appelons des loups-garous et l'autre soir, tu es devenu l'un des notre. Celui qui t'a mordu est un cabot. Il ne fait parti d'aucune meute, c'est un paria, un renégat. Il faut bien comprendre que mordre une femme et encore plus une femme enceinte est interdit par nos lois... Les femmes n'ont que très peu de chance de survie lors d'une morsure. Ce qu'il a fait est... impardonnable."
Je tentais de digérer les informations qu'il venait de me donner. Mon visage se ferma, il se moquait de moi ? Halloween avait eu lieu quelques jours auparavant mais ce n'était pas la peine de me prendre pour une poire en me racontant des histoires à dormir debout. Il dut lire mon scepticisme puisqu'il commença à parler dans ma tête.
"
Si ce n'était pas vrai comment expliquer ça ?"
Il se leva et commença à... changer de forme, je le fixais presque malgré moi alors qu'un loup venait de prendre sa place. Une moue de dégoût se dessina sur mon visage alors qu'il reprenait forme humaine.
"
Tu peux le faire également mais tu es encore trop instable pour que je te laisse le faire sans surveillance. Tu apprendras des autres loups et tu apprendras aussi que l'unité fait la force. Tu as perdu ta femme et ton enfant à naître mais tu viens de gagner une famille. Des frères."
Mon regard se fit assassin alors que je posais mon regard sur lui.
"
Je n'ai pas besoin d'une famille... Je veux juste tuer celui qui nous a fait ça."
Lysandre hocha la tête en soupirant tristement.
"
Evidemment, je comprends. Si nous sentons son odeur, nous te le laisserons, tu auras la priorité pour l'exécuter. Sache néanmoins que si tu refuses de t'intégrer à la meute... tu deviens exactement comme celui qui t'as transformé. Tu seras un cabot, un paria condamné à fuir toute sa vie. Les meutes tuent les solitaires et les renégats."
Son regard se fit intense alors que je hochais la tête. Peu m'importait, tout ce que je voulais désormais, c'était ma vengeance. Si pour cela, je devais rester ici jusqu'à ce que je retrouve l'homme qui avait décimé ma famille alors que je le ferais.
8 mai 1968
Cinq ans que j'avais intégré la meute de Salem. Cinq ans que je vivais avec cette douleur dans ma poitrine, avec cette rage qui ne voulait pas me quitter. Le cabot qui avait tué Valentine n'avait pas repointé le bout de son nez. Et moi, je m'étais plus ou moins intégré à la meute. Je faisais le stricte minimum, parlant peu et ne me liant que très peu. Je limitais mes transformation à une fois par semaine si je n'avais pas d'ordre contraire de Lysandre. Je faisais ce qu'on me demandait de faire et pour le reste, je restais dans mon coin. C'était aussi bien comme ça. Moins je les voyais mieux je me portais. Je ne m'étais toujours pas habitué à ma nouvelle nature. Je n'arrivais pas à pardonner.
C'était idiot mais... je n'arrivais pas à faire la distinction entre eux et le monstre qui m'avait volé ma femme. A mes yeux tous les loups étaient semblables. Le loup en moi me dégoûtait profondément. Cette part animale de moi ne pouvait pas être moi. C'était forcément quelque chose de distinct. Malgré cela, la transformation n'était pas désagréable, il y avait de chouettes sensations à être loup. J'avais découvert certaines choses sous de nouveaux yeux. Mais rien qui me passionne au point de me faire oublier mon but. Je pensais d'ailleurs tout espoir de l'accomplir perdu au bout de cinq ans. Mais un jour, Lysandre vint me voir pour me prévenir que les sentinelles avaient sentis son odeur.
C'était le signe du départ pour moi, je pense qu'il comprit parfaitement qu'il ne me reverrait pas après ça. Je promis de ne pas révéler la position de la meute. L'état les cherchait depuis de très nombreuses années. Pourquoi ? Je l'ignorais. J'avais simplement appris que les loups n'étaient pas les bienvenues sur le sol américain. On se demandait pourquoi... Après plusieurs massacres, les autorités ont dû comprendre que l'intérêt du plus grand bien résidait dans une régulation ou une surveillance accrue de ses menaces. Je ne pouvais pas les blâmer mais je ne pouvais pas non plus prendre le risque de trahir ceux qui m'avaient recueilli. Je saluais Lysandre une dernière fois avant de me transformer et de disparaître dans la forêt.
A cet instant, la traque commença. C'était presque trop facile, son odeur était partout. Je le surpris alors qu'il s'était arrêté pour boire. Je lui sautais à la gorge sans préavis, d'un mouvement puissant de mâchoire, je l'égorgeais sans plus de cérémonie. Il ne méritait rien de plus de ma part qu'une mort aussi ignoble que sa vie. Pourtant, je ne ressentais aucun soulagement. Aucune paix intérieure ne m'envahit alors que je relâchais le monstre à l'origine de mon malheur. Je n'avais même pas pris le temps de lui demander pourquoi. Et maintenant... il était trop tard. Je ne le saurais sans doute jamais...
Est-ce que cela avait de l'importance ? Je croyais que oui... Je compris que cela n'en avait pas au fond. Je repris forme humaine. Me laissant errer sans réelle destination, sans but. Qu'allais-je bien pouvoir faire désormais ? Je venais de tuer l'unique but restant de mon existence. Je ne ressentais aucune satisfaction à l'avoir fait. Le vide en moi ne s'était pas miraculeusement comblé. Il ne restait de moi... plus rien. J'en étais là de mes états d'âme quand une odeur étrange monta dans l'air, je me redressais en fronçant les sourcils mais je ne vis rien. Je scrutais les alentours avant de sombrer dans le néant d'un profond sommeil sans rêves.
10 mai 1968
Encore une fois, je me réveillais en ignorant complètement où je me trouvais. Cela ressemblait à une base militaire, j'étais sur un lit de camp. Le cheval de bois que j'avais sculpté à Valentine dans la main. La seule chose que j'avais demandé à récupérer lorsque j'avais intégré Salem. La seule chose que j'avais emportée avec moi lorsque j'étais parti traquer l'assassin de ma femme. Je pus remarquer un nouveau tatouage, en plus du croissant de lune des loups de Salem sur mon biceps droit, je me retrouvais avec un numéro sur l'avant bras gauche. J'esquissais une grimace, j'étais marqué comme du bétail.
Je devais certainement être dans l'endroit que craignait Lysandre. Je poussais un léger soupir et attendit que quelqu'un ne daigne se montrer. Ce qui ne tarda pas à se produire. Des militaires armés me sortirent de ma cellule pour me conduire en ville puis au nord de ce qu'ils semblaient appeler le Dôme, ils me firent un rapide topo de l'endroit. Ses habitants, ses règles et ma future destination. Je poussais un profond soupir alors que je me retrouvais en présence d'un nouvel alpha. Moi qui pensais pouvoir m'en défaire en quittant Salem. Je me trompais. Les militaires me laissèrent avec la meute. On me fit une proposition simple, intégrer la meute ou pas... Ma réponse fut tout aussi simple.
"
Je préfère courir que d'intégrer une meute."
Je posais sur l'alpha un regard froid dénué du moindre sentiment alors que je scellais mon sort. A partir de maintenant, vivre sans passer ma vie à fuir allait être compliqué mais je préférais ça plutôt que de devoir à nouveau vivre entouré de loups en permanence. Devoir me plier à cette monarchie clownesque. Et puis... ce n'était pas comme si je tenais assez à ma vie pour baisser la tête en permanence. Plus rien n'avait d'importance. Pas même ma propre vie.
10 décembre 2018
D'abord, ce ne fut qu'une présence dans ma tête. Je sentis les changements dans mon corps, ma force augmenta et mes sens devinrent plus précis. J'étais un loup-garou pourtant mais ce fut comme si je ne l'étais plus. La transformation ne devint plus une contrainte, mes yeux reprirent leur couleur normale et je me surpris a regretter ma forme animale. A moins que ce ne soit une guérison pourtant je quittais certaines capacités pour en trouver d'autres. Tout ceci était bien trop étrange pour être totalement compréhensible. J'avais la sensation de ne plus être seul dans ma tête et pourtant je n'entendais pas de voix, je pouvais encore me mouvoir comme bon me semblait. J'étais finalement redevenu l'homme que j'avais été. Je commençais à m'habituer et puis je l'avais entendu dans ma tête pour la première fois.
Il a commencé à prendre le contrôle de mon corps et je suis devenu la petite voix en second plan. Je n'avais plus aucun contrôle sur rien. Il s'appelait Heimdall et c'était un dieu disait-il. Il revenait sur terre sous une forme humaine, il prenait mon corps qui était en fait le sien. Comme si je n'avais existé que pour un jour potentiellement l'accueillir en moi. C'était... perturbant. Mais je n'avais pas l'envie de me battre. S'il voulait mon corps et ma vie, je lui donnais sans aucun regret. Je n'étais plus qu'une ombre d'homme. Peut-être que lui saurait profiter de la vie plus que moi peut-être saurait-il quoi en faire. Alors je décidais de m'effacer me terrant dans un coin. Le laissant explorer avec curiosité et développer ses pouvoirs comme il l'entendait.
Cette vie, je la quittais sans regret et je lui laissais. Je n'était plus Leandre. Il n'existait plus, plus vraiment. A présent, c'était Heimdall même s'il avait souhaité conserver mon prénom. Je lui laissais aussi. Il n'avait plus aucune signification à mes yeux. Ce n'était rien d'autre qu'un nom après tout et je n'étais même plus un homme. A peine une voix, à peine une conscience qui s'éteignait petit à petit et avec joie... J'irais retrouver Valentine... Peut-être.